Pendant les derniers jours de la guerre d'Espagne, des hommes confient Carlos, le fils d'un héros républicain décédé, à un orphelinat. Entre eux, les petits élèves parlent de "celui qui soupire", un fantôme qui hanterait le bâtiment...
Après avoir tourné Mimic (1997), un film de commande pour une filliale de Disney, le mexicain Guillermo Del Toro décida de travailler sur un film plus personnel. Il mena donc à bien L'échine du diable, un scénario commencé il y a plus de dix ans. Le réalisateur espagnol Pedro Almodovar (Tout sur ma mère (1999)...), qui disait vouloir travailler avec lui depuis qu'il avait vu son Cronos (1993), lui tient lieu de producteur. Le film est tourné en Espagne et est interprété essentiellement par des acteurs de ce pays : on y trouve donc Marisa Paredes, pilier du cinéma d'Almodovar (Talons aiguilles (1991), Tout sur ma mère...) et l'incontournable Eduardo Noriega (Tesis (1996) et Ouvre les yeux (1997) d'Amenabar, Jeu de rôles (1999) de Mateo Gil...). A leurs côtés, on a aussi l'acteur d'origine argentine Frederico Luppi (les français l'avaient déjà vu dans Les longs manteaux (1986) de Gilles Béhat, et il tenait le rôle principal dans Cronos).
Une grande part de L'échine du diable est consacrée à la descriptionminutieuse des liens tissés entre les différents adultes travaillant à l'orphelinat :Carmen, la directrice, courageuse femme de conviction et d'action ; Casares, vieux poèteet doux rêveur ; Jacinto, ancien pensionnaire brutal et aigri devenu homme à tout faire,et sa compagne, la discrète Conchita. Le trésor de guerre républicain, conservéprécieusement par Carmen, va être le coeur d'un drame violent : Jacinto, égoïste etviolent, va se montrer prêt à toutes pour acquérir ce qu'il estime être son du, laréparation méritée pour son destin injuste d'orphelin. Les relations entre les enfantssont aussi dépeintes avec beaucoup de soin, à travers de nombreux détails de leurquotidien, entre punitions, peurs nocturnes, complicité, jeux et échanges.
C'est autour de l'enfant-fantôme que se déploient les éléments fantastiques du récit.D'un classicisme solide, cette histoire de spectre et de vengeance s'inscrit avec unecertaine discrétion dans le développement dramatique. Elle n'est qu'une composante(essentielle, toutefois) de ce drame de guerre, un axe autour duquel s'organise ce récitvécu avant tout par des vivants. L'échine du diable n'est donc pas un nouveau Lesautres (2000) : alors que le film d'Amenabar faisait se succéder à un rythmeresserré les scènes horrifiantes et surprenantes (un peu aux dépends de la cohérencede l'ensemble et de la progression dramatique), Del Toro ne cherche pas vraiment àeffrayer le spectateur. A l'exception de la séquence où Carlos s'enferme dans un placardà linges, les apparitions du spectre sont toujours assez délicates. Le réalisateurrefuse de disperser l'homogénéité du film et l'attention du spectateur dans deseffets-chocs désordonnés. Il cherche avant tout à élaborer un riche récitfantastique, et non à filer au spectateur la frousse de sa vie.
Le classicisme délibéré de Del Toro se retrouve aussi dans sa réalisation d'une grandeélégance. La caméra se meut avec grâce, mais aussi avec discrétion. L'échine dudiable frappe par sa fluidité et l'homogénéité de son ton. Toutefois, lasolidité de ce savoir-faire évident ne'empèche pas de recourir à quelques plans trèsoriginaux, qui tombent toujours bien à propos, lors de moments-clés de la progression durécit (l'explosion du camion, les deux séquences de la chute de la bombe...). On estaussi admiratif devant la magnifique photographie de Guillermo Navarro (Cronos, Desperado(1995) de Robert Rodriguez...). Les plans diurnes baignent dans des lumières solaires quifont éclater le bleu du ciel et les ocres et rouges de la terre et des maisons, tandisque les scènes nocturnes sont baignées dans un bleu-nuit profond : on se croiraitvraiment devant les prouesses des meilleurs chef-opérateurs du cinéma italien desannées 60/70 (Les trois visages de la peur (1963) de Mario Bava pour lesséquences de nuit ; Le bon la brute et le truand, Mort à Venise (1970)de Visconti et L'enfer des zombies (1979) de Lucio Fulci pour celles de jour...).
Toutefois, il est permis de regretter une certaine froideur dans la narration au cours dela première partie du métrage : à force de multiplier les scènes anecdotiquesdestinées à donner de l'épaisseur à ses personnages, Del Toro disperse peut-être unpeu trop son récit, qui ne progresse que lentement. De même en refusant de jouer sur desscènes éprouvantes, il peine à impliquer le spectateur dans son film. C'est d'autantplus dommage que la seconde partie du métrage, à partir du moment où la fuite estorganisée, est vraiment très dense et très efficace : si tout le métrage avait eucette puissance, L'échine du diable aurait certainement été un classiqueinstantané du cinéma d'épouvante. On peut aussi faire des réserves surl'interprétation un peu limitée d'Eduardo Noriega, qui nous refait son numéro debellâtre antipathique (Tesis, Ouvre les yeux...). Son jeu manque toutde même de subtilité si on le rapporte au reste du casting (les enfants sontconvaincants tandis que Marisa Paredes et Federico Luppi sont époustouflants dedélicatesse et de justesse) : cela nuit un peu à la crédibilité de son personnage.
Malgré ces quelques réserves, L'échine du diable reste un film fantastique detrès bonne facture, très prometteur quand aux futures uvres de son réalisateur.Son inscription dans le contexte des années 30, rendues avec beaucoup de soin, en fait enplus une inspiration tout à fait valable pour les joueurs de L'appel de Cthulhu.Malgré un bon succès dans les pays hispanophones, L'échine du diable a du secontenter d'une rapide carrière dans une poignée de salles d'Art et essai auxÉtats-Unis. Del Toro est ensuite retourner sur le terrain hollywoodien en tournant lefilm de super-héros Blade II (2002) avec Wesley Snipes.
Bibliographie consultée :